Un premier voyage culinaire au Japon, entre grandes villes gourmandes, Uji pour le matcha et berceau de la sauce soja. Un itinéraire qui donne faim et envie de voyage.
Il y a des voyages que l’on prépare avec une to-do list parfaitement organisée. Et puis il y a les voyages au Japon, qui vous attrapent par les sens avant même que vous ayez eu le temps d’ouvrir votre valise. Le Japon est une destination que l’on mange autant que l’on visite, un pays où chaque région défend ses spécialités avec une fierté presque poétique, où le terroir devient un art, où un bouillon raconte une histoire et où la moindre échoppe peut vous bouleverser.
Pour un premier voyage culinaire, on ne sait souvent pas par où commencer : Tokyo et ses milliers de restaurants ? Osaka et sa street food vibrante ? Kyoto et sa cuisine délicate, presque cérémonielle ? Ou bien ces villes moins connues mais absolument incontournables pour les amateurs de saveurs authentiques, comme Uji, berceau du matcha, ou Yuasa, petite cité discrète du sud d’Osaka, considérée comme le lieu de naissance de la sauce soja moderne ?
Ce voyage-ci, je vous propose de le faire doucement, comme on déguste un plat que l’on veut prolonger. Un itinéraire de découverte où chaque ville dévoile une facette de l’identité culinaire du Japon. Un classement de cinq villes emblématiques, accompagné de haltes dans des lieux plus secrets qui donnent au voyage cette saveur incomparable.
Installez-vous, respirez, laissez-vous emporter… et surtout, laissez votre appétit vous guider.
1. Tokyo : l’infini des possibles culinaires
Tokyo est un monde. Une ville gigantesque où chaque quartier possède sa propre logique, son ambiance, sa philosophie… et bien sûr, sa cuisine. S’il y a un endroit au monde où l’on peut dire qu’on peut manger un plat différent chaque jour pendant des années sans jamais se répéter, c’est bien ici. Tokyo, c’est l’abondance dans ce qu’elle a de plus séduisant.
Ce qui surprend immédiatement, c’est la précision. Que vous entriez dans un restaurant étoilé ou dans une minuscule échoppe derrière Shinjuku, chaque plat semble exécuté avec un soin presque obsessionnel. C’est peut-être cela, la magie de Tokyo : la qualité n’est jamais un hasard.
Je me souviens encore de mon premier omakase, ce dîner où l’on confie entièrement son repas au chef. Assise face à un artisan concentré, observant ses gestes précis, j’ai compris que manger au Japon n’est pas un acte banal. C’est presque un rituel, une relation de confiance, un échange silencieux où l’on accepte de se laisser guider.
Mais réduire Tokyo à ses sushis serait une injustice. La ville est un véritable laboratoire culinaire. On y trouve les ramens les plus audacieux, des yakitoris grillés avec une maîtrise insolente, des pâtisseries franco-japonaises d’une délicatesse renversante. On y croise des files d’attente interminables pour goûter un simple bol de nouilles, preuve que la passion gastronomique dépasse toutes les logiques.
Tokyo, c’est une introduction, une porte d’entrée vers la complexité du Japon. Une capitale qui engloutit toutes les cuisines régionales pour mieux les célébrer. Pour un premier voyage culinaire, il n’y a pas de meilleur point de départ.
2. Osaka : le royaume de la street food et de la gourmandise assumée
On dit d’Osaka qu’elle est la ville de la kuidaore, l’art de « manger jusqu’à s’effondrer ». Et croyez-moi, ce n’est pas une exagération. Osaka respire la gourmandise, l’excès joyeux, l’envie de se faire plaisir sans retenue.
Dès que l’on arrive à Dōtonbori, ce célèbre canal bordé de néons, de grands panneaux animés et d’une foule indescriptible, on comprend que quelque chose d’unique se joue ici. Les odeurs vous enveloppent : poulpe grillé, bouillons fumants, pâte chaude. Les stands de takoyaki, ces petites boules de pâte garnies de morceaux de poulpe, se succèdent avec une intensité presque surnaturelle. Mordre dans un takoyaki brûlant, sentir la pâte moelleuse et la tendreté du poulpe, c’est l’un des plaisirs simples mais absolument incontournables du voyage.
Osaka est aussi la patrie de l’okonomiyaki, cette crêpe épaisse mêlant chou, viande, fruits de mer et cette sauce sombre, sucrée et légèrement fumée qui devient immédiatement addictive. Dans les restaurants où l’on cuit son okonomiyaki devant soi, le temps semble s’arrêter. On observe, on mélange, on savoure l’attente, puis on se régale comme des enfants.
Mais Osaka réserve aussi une surprise beaucoup plus discrète : Yuasa, au sud de la préfecture, petit bijou historique et berceau de la sauce soja moderne. Dans ses rues paisibles, on entend presque les échos du passé. Les brasseries de shōyu sont encore là, et l’on peut y sentir les effluves de fermentation, ces parfums profonds qui racontent six siècles d’histoire culinaire. Comprendre la sauce soja dans son lieu d’origine, c’est voir le Japon autrement.
Osaka, c’est la ville qui vous rappelle que la cuisine est aussi une fête. Une fête bruyante, chaleureuse, humaine, qui vous pousse à goûter encore un plat, puis un autre, puis un autre…
3. Kyoto : la cuisine comme un art poétique
Si Tokyo est l’infini des possibles et Osaka la dévotion au plaisir, alors Kyoto est l’élégance incarnée. Là-bas, la cuisine n’est jamais seulement un repas : c’est une contemplation.
La première fois que j’ai goûté un kaiseki, ce repas traditionnel composé de multiples petits plats, tout en finesse et en équilibre, j’ai eu l’impression de lire un poème plutôt que de manger. Chaque plat semblait être une saison, un paysage, un clin d’œil à la nature. Les couleurs, les textures, les températures, tout était pensé comme une harmonie.
Kyoto est intimement liée au bouddhisme, et la cuisine végétarienne des temples, le shōjin ryōri, révèle cette dimension spirituelle du goût. Un simple tofu peut devenir une révélation. Dans les temples d’Arashiyama ou autour du pavillon d’argent, on sert un tofu chaud, crémeux, d’une pureté presque troublante. Comment un aliment si simple peut-il être aussi bouleversant ?
La ville possède aussi un marché emblématique, Nishiki Market, où l’on passe du sucré au salé, du croquant au fondant, avec une facilité déconcertante. Ce marché est une immersion totale : on y goûte des cornichons locaux, du poisson séché, des douceurs surprenantes au matcha, et mille autres petites merveilles.
Kyoto nous rappelle que la cuisine japonaise est née d’un dialogue permanent avec la nature. C’est une ville où l’on apprend à ralentir, à écouter, à goûter vraiment.
4. Fukuoka : l’âme du Japon du Sud, généreuse et gourmande
Fukuoka, sur l’île de Kyūshū, est une ville chaleureuse où l’on sent immédiatement l’esprit du Sud. C’est une terre de volcans, de sources chaudes, de pêche abondante, et cela se ressent dans sa cuisine : généreuse, parfumée, ancrée dans la tradition tout en étant très accessible.
Si vous êtes un amoureux des ramens, Fukuoka est votre paradis. Les célèbres Hakata ramens, avec leur bouillon tonkotsu riche et crémeux, sont un incontournable absolu. Devant certains restaurants, la file d’attente commence avant même l’ouverture, preuve que la quête du bol parfait est ici un véritable sport national.
Mais la véritable identité culinaire de Fukuoka se révèle le soir, dans ses yataï, ces stands de rue ouverts la nuit, où l’on s’assoit sur de petits tabourets pour déguster brochettes, gyozas, tempuras, et même des ramens. L’ambiance est incomparable : on rit, on parle, on partage des plats avec des inconnus. C’est l’une des expériences les plus humaines et authentiques du Japon.
Et puis il y a le motsunabe, ce plat de hot pot à base d’abats mijotés avec des légumes et une sauce riche. Il peut surprendre, mais il est profondément ancré dans la culture locale et réchauffe le cœur autant que l’estomac.
Fukuoka, c’est la cuisine du lien. Une cuisine qui se vit ensemble, dans la chaleur d’une soirée animée.
5. Sapporo : la gourmandise du Nord, entre mer et montagnes
Sapporo, capitale d’Hokkaidō, est une ville de contrastes magnifiques. Ici, l’hiver est rude, mais la cuisine est d’un réconfort inouï. Les spécialités d’Hokkaidō sont parmi les plus réputées du pays : produits laitiers, fruits de mer exceptionnels, légumes de montagne… Tout est généreux, frais, surprenant.
On commence souvent par un bol de ramen miso, spécialité de la ville, particulièrement savoureux lorsqu’il neige dehors. Le bouillon est dense, parfumé, légèrement fumé, et accompagné de beurre ou de maïs, deux ingrédients emblématiques d’Hokkaidō.
Sapporo est aussi célèbre pour ses crabes et ses coquillages, que l’on peut déguster dans les marchés comme Nijo Market. La qualité des produits marins est impressionnante. On peut y manger un sashimi si frais qu’on croirait encore entendre la mer.
Et puis il y a une spécialité étonnante : le soup curry, mélange épicé, coloré, irrésistible, servi avec une montagne de légumes croquants et du poulet tendre. C’est l’un de ces plats qui racontent l’influence des cuisines étrangères, adaptées avec amour par les Japonais.
Sapporo est une ville gourmande, généreuse, et profondément attachante. Une étape indispensable pour ceux qui aiment être surpris.
Halte spéciale : Uji, la ville du matcha
Entre Kyoto et Nara, nichée dans un paysage verdoyant, se trouve Uji, capitale japonaise du thé matcha. Si vous aimez ne serait-ce qu’un peu le matcha, préparez-vous : Uji va vous faire perdre la tête.
La première fois que l’on se promène dans ses ruelles, on remarque immédiatement l’odeur. Une fragrance douce, herbacée, presque sucrée, qui flotte dans l’air. Les maisons de thé y sont nombreuses, toutes plus élégantes les unes que les autres.
Boire un matcha à Uji n’a rien à voir avec le goûter ailleurs. La profondeur du goût, la douceur de l’amertume, la texture presque veloutée… tout prend une autre dimension. On comprend pourquoi Uji est considéré comme le berceau du thé japonais.
Les pâtisseries au matcha y sont tout simplement sublimes : glaces, gâteaux, mochis, parfaits… la déclinaison est infinie, mais jamais trop sucrée. Toujours délicate, mesurée, harmonieuse.
Uji est une respiration dans un voyage culinaire parfois intense. Un moment suspendu, vert, apaisant.
Halte historique : Yuasa, le berceau de la sauce soja
Souvent ignorée du grand public, Yuasa est pourtant l’une des villes les plus importantes de l’histoire culinaire du Japon. C’est ici qu’est née, il y a plus de 600 ans, la sauce soja moderne.
Flâner dans Yuasa, c’est revenir en arrière. Les maisons en bois, les brasseries traditionnelles, les tonneaux massifs utilisés pour la fermentation… tout semble figé dans le temps. Et pourtant, la production continue, respectant des méthodes anciennes qui donnent à la sauce soja une profondeur incomparable.
Lorsqu’on y goûte une sauce soja artisanale, on se rend compte que ce que l’on consomme habituellement n’en est qu’une version très édulcorée. Ici, les saveurs explosent : une salinité contrôlée, une douceur légère, une longue persistance en bouche, presque caramélisée. Comprendre la sauce soja à Yuasa, c’est comme comprendre le vin à Bordeaux : une initiation indispensable.
Yuasa est une étape surprenante, discrète, mais profondément marquante.
Un voyage qui se savoure autant qu’il se visite
Au fond, un voyage culinaire au Japon est une invitation à regarder le pays autrement. À voir dans chaque plat un geste, une tradition, une histoire. À accepter que la cuisine est ici un langage subtil, parfois silencieux, souvent profondément expressif.
Tokyo vous émerveillera par sa diversité. Osaka vous fera rire et manger sans retenue. Kyoto vous touchera par sa poésie. Fukuoka vous réchauffera le cœur. Sapporo vous enveloppera de réconfort. Uji vous apaisera. Yuasa vous ancrera dans le patrimoine culinaire du pays.
Un premier voyage culinaire au Japon, c’est un premier pas vers une passion durable. Car une fois que l’on a goûté à cette précision, à cette sensibilité, à cette créativité, on ne regarde plus jamais un repas de la même manière.
Et surtout, on n’a qu’une envie : revenir.